Louna Ladevant au sommet de Wogu

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2023-10-30 11:16:27

Louna Ladevant au sommet de Wogu

Une des voies les plus dures au monde

Après plus de 11h de combat acharné dans cette paroi mythique au coeur du Rätikon (Suisse), Louna Ladevant signe avec l'enchaînement de Wogü un exploit magistral : seuls quatre autres grimpeurs parmi les plus grands noms de la discipline avaient réussi cette performance. Ce prodige de la verticalité, déjà double champion du Monde d'escalade sur glace, devient le premier Français à être venu à bout de ce « monstre des Alpes », un condensé de difficultés extrêmes sur 350m (8c max) avec plusieurs mouvements de blocs infâmes et un engagement constant dans la voie. 

Cette réalisation impressionnante, l'aboutissement d'une motivation sans faille pour ce jeune virtuose de 23 ans seulement, a pu être possible grâce au soutien sans faille de son frère et binôme de cœur Tristan Ladevant, qui l'a assuré tout au long de cet enchaînement. « Pour pouvoir m'aider au mieux, Tristan a dû faire et apprendre chaque mouvement difficile de la voie, c'était une vraie performance de cordée », raconte Louna. D'autant plus que rien ne s'est passé comme prévu hier... « J'ai chuté plusieurs fois à la troisième longueur, celle du 8c. J'ai perdu beaucoup de temps et d'énergie plus tôt que prévu », explique Louna, que sa ténacité sans faille permet de garder le cap, jusqu'à la dernière longueur difficile qu'il finit par passer...à la frontale au début de la nuit ! C'est finalement à quasiment 22h que Louna viendra à bout de Wogü ! 

tristan-louna-ladevant-wogu© Damien Largeron

Les frères Ladevant ont déjà marqué l'histoire de l'escalade sur glace en remportant plusieurs titres internationaux, dont le Championnat du Monde en 2022 pour Louna et une place sur le podium pour Tristan. Le binôme de choc s'était déjà également illustré l'été dernier en réalisant l'enchaînement express des trois voies d'aventure les plus dures de Corse. Leur succès au Wogü confirme leur capacité à s'exprimer au plus haut niveau aussi bien sur rocher que sur la glace !

Wogü, située au cœur du massif du Rätikon en Suisse, s'est inscrite dès son ouverture parmi les grandes voies légendaires de l'escalade. Beat Kammerlander, ouvreur iconique des années 90, a équipé Wogü en 1997 en utilisant une méthode d'équipement appelée "tamponnoir." Cette technique d'équipement implique l'utilisation de protection (spit ou plaquette) enfoncée directement dans la roche, ce qui rend l'escalade plus exigeante en termes de protection et ajoute un élément de danger. En raison de la méthode d'équipement peu conventionnelle de Beat Kammerlander, l'escalade de Wogü est décrite comme "folklorique." Les grimpeurs qui se lancent dans cette voie peuvent s'attendre à des mouvements extrêmes, à des sections où les protections sont espacées. Un piment supplémentaire là où l'erreur n'est déjà pas permise ! 

C'est le grimpeur tchèque Adam Ondra qui libère Wogü en 2008. 

Depuis, seuls trois grimpeurs parmi les plus talentueux au monde avaient réussi l'enchaînement : Edu Marin, Roland Hemetzberger, Cédric Lachat et maintenant Louna Ladevant. Tous ont noté que l'escalade de Wogü est non seulement physiquement exigeante, mais aussi impitoyable pour les doigts. Les prises minuscules et les mouvements violents mettent à l'épreuve la résistance et l'endurance des grimpeurs, ainsi que la sante de la peau de leurs doigts, ce qui ne laisse à chacun qu'un nombre de tentatives extrêmement limité pour réussir… 

Wogü en chiffres : 350m, 8c max, ouverture 1997 par Beat Kammerlander, 9 longueurs, cotation très sèche (6c, 6c+, 8c, 7c+, 8b+, 8b, 8b+, 8a+, 7c+).

Louna nous partage son expérience à travers cet entretien :

Qu’est ce qui t’as poussé à relever ce défi ?

Je n'avais pas vraiment mis de projets dans mon niveau max en grande-voie, j’avais juste fait des trucs avec une journée ou 2 de travail, et ça marchait. Du coup je me suis dit que quitte à mettre de l’investissement dans une grande-voie, autant tenter l’extrême, probablement la voie ou une des voies les plus dures que je pouvais essayer en Europe sans aller trop loin non plus. Donc c’était l’idée. J’ai checké les cotations, tous les articles que je pouvais trouver dessus, et appelé Cedric. Évidemment je me suis demandé au début si ce n’était pas trop ambitieux. C’est un mythe et le fait qu’il n’y ait que des légendes qui l’aient réussie a aussi attisé ma curiosité : voir là où je me situais par rapport à ces grands noms de l’escalade.

Comment s'est passée ta première rencontre avec le Wogu ?

On va dire que j’avais peur, au début tu ne vois pas de prises, tu te demandes comment ça passe… puis à la fin du premier trip j’avais réussi à dégrossir la majorité des longueurs dures et je savais que c’était potentiellement faisable, encore fallait-il le faire dans la journée, car quand tu réfléchis à l'enchaînement… ça parait très long dans la difficulté. 

Comment t’es tu préparé pour l'ascension, as-tu suivi un entraînement spécifique ?

Cet été je suis arrivé très en canne en escalade malgré une forte douleur à un doigt, j’étais entraîné pour essayer un projet à cause (le cadre 9a) donc mon niveau était assez bon, et la voie est très à doigts et ça c'est mon style ! J’ai refait un mois d’entraînement avec mon coach en septembre et ça m'a permis d’arriver le plus en forme possible. 

Quelle était ta plus grande crainte avant l'ascension ?

Je pense que c’était soit de ne pas réussir à passer la première longueur en 8c (en 3eme longueur), soit à l'inverse passer tout et me retrouver coincé tout en haut à bout de force… je ne sais pas, toutes les longueurs me faisaient peur et je savais qu’il y avait peu de chances que j’enchaîne...

Comment as-tu géré la pression physique & mentale pendant ta grimpe ?

Je dirais que j’ai grimpé pas à pas, longueurs après longueurs. C’est ce qui m’a permis de me pousser autant. Chaque fois je me concentrais sur une longueur comme si c’était la seule que je devais grimper aujourd'hui et ainsi de suite. A chaque fois que je tombais, je me disais juste « c’est pas grave… aller tu réessaye » et vu le nombre de fois ou je suis tombé, je me suis dit ça toute la journée haha ! Et physiquement c’était très dur mais c’était à la guerre comme à la guerre et rien ne pouvait m’arrêter. (C’est une façon de parler bien évidemment et ça n'était que mon état d’esprit haha en réalité bien des choses pouvaient m’arrêter) 

Quels ont été les principaux défis que tu as dû relever dans la voie ? les contraintes auxquelles tu as dû faire face ?

Les longueurs sont très bloc et très à doigts donc c’est très dur d’arriver à rester assez en forme pour passer toutes les longueurs, parfois quand je ne réussissais pas, je me disais que je n’avais peut être tout simplement plus assez de force et que je ne pourrais rien faire pour ça malheureusement. Et arriver à garder le mental positif et concentré après tant d’efforts a été le plus dur, rester dans l’instant présent et dans les meilleures dispositions comme je sais le faire compétition par exemple sauf que la mon taux de fatigue nerveuse était très élevé
Aussi au vu du créneau météo et tout ça j' ai décidé de mettre un run du bas après seulement 7 jours de travail dans la voie, ce qui n’est pas énorme du tout. Et ca ne m’a pas facilité la tâche je pense. 

Quel est ton souvenir le plus marquant dans la voie ?

Quand j’ai finalement passé le pas de bloc du dernier 8B+/C a la frontale après au moins 2h d’acharnement, une partie de moi avait presque abandonné à ce point donc l’émotion de réussite était vraiment exceptionnelle. 

Qu’est ce que cette performance représente pour toi ?

Pour moi c’est ma plus belle réalisation en escalade et peut être même tout confondu, j’en suis vraiment fier et heureux.

Quel est ton prochain défi/ objectif ?

Je veux m’entraîner pour faire quelques compétitions de glace cet hiver comme d’habitude, mais aussi garder pas mal de temps pour faire de l’alpinisme hivernal notamment un beau projet à Chamonix dont on vous parlera bientôt, ainsi qu’une expédition en Himalaya durant l’été. 

Des anecdotes / commentaires à rajouter ?

J’ai réussi cette ascension grâce à Damien qui nous a aidé avec le hissage et la logistique toute la journée en plus de faire de magnifiques photos, mais aussi et surtout grâce à Tristan qui m' a en fait sauvé à deux reprises, en me donnant des détails techniques ou des idées de méthodes un peu différentes qui ont marché là ou les méthodes que j’avais calé sans fatigue extrême ne marchaient plus… il connaissait la voie aussi bien que moi donc ça a été d’une grande aide.

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© Crédits photo Damien Largeron

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