Interview de Solenne Piret après sa réalisation d’Onde de choc
Retour sur la performance exceptionnelle de Solenne.
Vous avez peut être déjà vu l’exploit réalisé par Solenne Piret, une athlète du programme BeTH d’Arkose, avec la réalisation d’Onde de Choc, un superbe bloc en 7b du secteur Apremont Est ouvert par la légende Jacky Godoffe.
Pourquoi est ce un exploit à l’heure des 8b/8b+ bloc féminin (et même 8c) ? Tout simplement car Solenne est une athlète handiclimbing. Un arrêt de croissance la prive d’avant-bras et de main droite depuis sa naissance.
Alors comment aborder un tel bloc dans lequel les préhensions main droite sont si cruciales pour avoir une chance de l’envoyer ? Nous sommes allés interroger Solenne sur ses méthodes, ses doutes, ses sources de motivation pour aller chercher au fond d’elle la force de réaliser des blocs qui nous font tous rêver ! Et ses réponses nous ont convaincus qu’il n’y a pas d’excuse du genre « c’est morpho », « je rentre pas dans la boite je suis trop grand », « je serai jamais assez souple pour mettre le talon derrière l’oreille », qui tienne pour ne pas réaliser un projet….
Hello Solenne, première question pour toi, pourquoi as tu choisi ce bloc ?
Pour être honnête, on a plutôt choisi ce bloc pour moi. C’était il y a 2 ans et demi, un copain avait ça en tête pour moi alors que je faisais à peine du 6c en forêt… J’étais dans la passivité à ce moment-là, et lui un visionnaire.
En quoi il t’a fait vibrer et comment t’es tu dit que tu avais une chance de le réaliser ?
Lorsque j’y suis allée les deux premières fois – à 6 mois d’intervalle – je n’avais vraiment pas le niveau, aussi bien physiquement que techniquement ou mentalement. Mais mon pote avait l’air d’y croire, et j’ai appris à ne pas me fermer de portes. Cependant, ces plats et ce médaillon à arquer main droite ne me parlaient pas vraiment, sans parler des talons à valoriser impérativement… et pour couronner le tout, c’était hyper haut.
Les mois passant, je gagnais peu à peu en niveau, et ce bloc est venu s’incruster dans mes fantasmes de réalisation… Tu sais ceux où tu te dis qu’il te faudrait une réincarnation dans le corps de quelqu’un d’autre pour le faire.
Il y a une aura autour de ce bloc, un quelque chose de presque mystique : cette proue au beau milieu d’une placette un peu encaissée, la seule ligne sur ce rocher… il ne peut laisser indifférent, et moi, contrairement aux deux premiers séances, il s’est mis à me faire peur. Or la peur est un sentiment, et un sentiment éveille des choses en nous.
Il a fallut attendre septembre 2020 pour que je me dise que j’avais une chance de le réaliser. Je crois qu’il est sorti de la phase fantasme imaginaire pour aller en phase projet après mon premier 7a+ bloc cet été à La Capelle. On reste finalement assez conditionnés par ces échelons de cotations, vraiment à tort car la cotation est tellement subjective!
Y a t-il une typologie de blocs que tu sais pouvoir réaliser malgré ton handicap ou bien tu craques sur un profil et tu mets des runs bille en tête ?
Je pense que l’un et l’autre sont liés… à mon avis lorsque je craque sur un profil, c’est que je sais au fond de moi que c’est réalisable, malgré mon handicap. Après il m’arrive très souvent de craquer sur une ligne via une photo ou une vidéo, d’aller voir, et de me dire que vraiment, c’est très loin ! Si par la suite le projet me sors de tête, c’est qu’il n’y a pas tellement sa place, s’il continue de trotter malgré le « c’est loin ! », c’est qu’il existe probablement une autre méthode. A moi alors de la trouver !
Sur ce bloc spécifiquement quels sont les mouvements « habituels » que tu savais ne pas pouvoir faire ?
Déjà je n’ai pas l’allonge pour partir de manière classique. J’utilise la méthode des petits en prenant une inter main droite au milieu de la face. Ensuite pour aller sur ce fameux médaillon main droite, j’ai du trouver une méthode complètement différente tout en gainage pour être vraiment haute sur mes pieds et avoir la longueur nécéssaire. Enfin, j’étais persuadée de ne pas pouvoir tenir le plat main droite tout en haut… et finalement je l’ai fait. Donc ma conclusion c’est qu’il est important de ne pas se conditionner dans un « je peux » ou « je ne peux pas »… même si je le fais très souvent ! Heureusement que je peux compter sur mes proches à ce moment-là, qui m’aident à lever les barrières quand je commence à me les mettre toute seule.
Comment as tu mis au point les méthodes pour compenser ?
Avec l’aide de Guillaume – mon entraineur – et de Christophe – le copain persuadé que ça fonctionnait. C’est un vrai échange entre mes ressentis et leur expérience, ainsi que leur empathie et leur sens de l’observation. Ce n’était pas inné chez moi, mais je me force à toujours essayer les méthodes proposées. Ainsi j’élargis mon répertoire gestuel, et surtout je cuisine le tout avec mes sensations pour trouver la méthode qui me convient.
Te fais tu aider par ton entraineur (Guillaume Levernier) ou bien il n’y a que toi qui peut le sentir ?
Il y a des préhensions main droite que seule moi peut sentir. Mais la réalité est que quelqu’un d’expérimenté peut réellement trouver des méthodes, car le corps est un ensemble de forces et de tensions qui s’opposent et s’allient, qu’un œil extérieur est parfois plus à même de décrypter. Un peu comme un schéma mécanique.
Au sujet de ton entraineur justement, à quel point a t-il joué dans la réalisation de ce bloc ?
Je pense qu’il a joué un rôle très important dans la réalisation d’Onde de Choc. Grâce à mon club Le8Assure, nous avons pu commencer à travailler ensemble en septembre dernier. Très vite une confiance mutuelle s’est installée, et je pense que la confiance est la clef : il a très sérieusement considéré ce projet, et d’avoir une tierce personne qui croit en ton projet aide vraiment à croire en soi-même, donc à y mettre la bonne énergie et le bon investissement.
Est-il intervenu dans les phases de travail sur site, dans les phases d’entrainement, dans le soutien psychologique ?
Il m’a accompagnée sur site, ce qui à mon avis donne réellement le change. Il avait ainsi tous les éléments nécessaires pour mesurer justement le travail spécifique à mettre en place et ajuster les phases entrainement en fonction. Guillaume est quelqu’un de très emphatique, aussi il a pu également intervenir dans le soutien psychologique.
As-tu mis en place un entrainement indoor spécifique pour croiter ce projet ?
Dans un premier temps, nous avons travaillé sur le renforcement des groupes de muscles, tel que les doigts, la ceinture scapulaire, la ceinture pelvienne mais également les membres inférieurs (ischios / adducteurs). Cette première phase était essentielle pour préparer mon organisme à résister à l’intensité des mouvements du bloc. Concernant les exercices, ils étaient articulés soit sous la forme de circuit training, soit sous la forme de séances spécifiques.Les effets ont vite apparu. J’arrivais à tirer de mieux en mieux sur mes talons et je trouvais les mouvements de presse de moins en moins durs.
A côté de cela, je continuais également à grimper dans d’autres bloc et en salle afin de ne pas perdre en qualités gestuelles. Je remercie d’ailleurs Arkose Massy de m’avoir ouvert ses portes à ce moment là (mais avec plaisir ! NDLR) !Nous avons progressivement monté l’intensité en restant toujours prudent et en ciblant spécifiquement le travail au niveau de la ceinture scapulaire avec des exercices au TRX. En parallèle, nous avons fait tout un travail sur les doigts. C’est tout cela qui m’a permis de pouvoir réaliser ce bloc.
2020 a été un bon cru à Bleau pour toi avec la réalisation d’un jeté en 7a (Lost in Space), un 7b (La Faim du Tigre), en quoi ce projet était il plus difficile que La Faim du Tigre ?
A mon avis, La Faim du Tigre est plus facile qu’Onde de Choc en intensité. Ensuite c’est un bloc plus physique mais que la souplesse aide pour trouver des méthodes moins forçues. Au final, je pense qu’une partie de la difficulté vient de ce passage dans le toit, avec une épaule main droite assez traumatisante en excentrique. Et je pense être avantagée dans ce mouvement car directement en place pour la suite, en plus d’avoir moins de bras de levier !
Comment ça se fait que tu progresses à donf en ce moment ?
Je pense que c’est un ensemble. L’entrainement pur me fait indiscutablement progresser, ça passe aussi par une confiance accrue en mes capacités, le fameux effet boule de neige : quand tu te sens fort, tu es fort. Un entourage bienveillant joue énormément sur cette notion de confiance en soi. J’essaye aussi de rester très ouverte aux conseils, de ne pas me mettre de barrières, et surtout je continue d’étoffer mon répertoire gestuel. Grimper dans tous les niveaux jusqu’à mon niveau max et dans tous les profils.
Du coup c’est quoi le projet bloc qui tombera sous tes assauts ?
Il faut que je le trouve ! Encore une fois, j’ai repéré (ou bien on m’a proposé) plusieurs lignes dures, à moi de trouver celle qui convient !