La chute, par Mathieu Maynadier
Retour sur la chute de Mathieu Maynadier
Pour Mathieu, le confinement n’est pas terminé. Le 28 mai dernier, après quelques jours de liberté, il se retrouve à nouveau enfermé pour plusieurs semaines au CERS de Cap Breton suite à un accident.
Des récits d’accident en escalade on en lit souvent mais on se dit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. Mathieu nous livre le récit de sa chute et nous pousse à réfléchir sur notre pratique pour grimper toujours en toute sécurité !
« Dimanche 5 juillet 2020 météo parfaite dans les Alpes et moi je suis sur mon lit avec un sac de glace sur la cheville, confiné au CERS de Cap breton … Et là je me dis que vraiment c’est trop naze de se retrouver dans cet état pour une négligence.
Mais petit retour en arrière : mai 2020 comme tout le monde après deux mois confiné à la maison j’ai les crocs !! Même si on est toujours limité à 100km on a largement de quoi faire dans les Hautes Alpes pour bien s’amuser.
Du coup reprise de la falaise d’abord tranquillement, puis comme les séances de training du confinement font leur effet (merci @melissalenevecoaching) je me dis que c’est le bon moment pour s’atteler à un chantier de longue date. »
LE DÉPART
« Jeudi 28 mai direction Aile froide avec deux copains grimpeurs. Dans ce récit je donne pas mal de détails qui peuvent paraître insignifiants mais qui ont en fait leur importance.
Je suis un peu fatigué d’avoir pas mal enchaîné les jours d’avant mais il fait grand beau et je pars pour faire juste une petite séance, poser les paires revoir les mouvements. Je prends dans mon sac du matos que je compte laisser à la falaise le temps que la voie se laisse dompter :
- un jeu de dégaines à laisser en place
- une vielle corde dont les extrémités ont déjà été un peu fatiguées
Dans le speed (j’ai trouvé des grimpeurs dispos qu’au dernier moment) je jette cette corde machinalement dans mon sac sans réfléchir. Moins speed j’aurais dû me rendre compte que cette corde très légère ne devait pas être bien longue. »
L’ASCENSION …
« Dès l’échauffement on se rend compte qu’en effet elle est bien trop courte mais ça passe, en faisant attention au prix d’une manœuvre un peu périlleuse on peut faire la séance.
Le départ de la voie est une dalle facile du coup l’assureur grimpe sur cinq mètres ce qui permet de poser le grimpeur au sol puis il lâche la corde et désescalade.
C’est pas très malin de faire ça mais ça marche. On finit comme ça pour aujourd’hui puis je changerai la corde pour les autres jours … On fait tous deux montées dans nos projets respectifs puis comme je sens que je bouge bien et qu’il n’est pas tard je pars pour un dernier « calage » ce serait bête de tomber pour une erreur de méthode … Autant demain je torche !!
Mes compagnons ont fini leur séance je suis donc le dernier puis on rentre … dans nos têtes on est surement déjà partis. »
… ET PUIS LA CHUTE
« Je pars dans la voie et pendant que je grimpe, une autre cordée arrive à la falaise, des potes à nous. Comme je fais du point à point mon assureur n’est surement pas focus comme pendant un essai. En bas ça discute, l’autre cordée se prépare, bref on n’est plus seulement tous les trois, focus sur nos projets.
De mon côté j’atteins le relais et dit à mon assureur de me descendre sans repenser à la fameuse manip’ que l’on doit faire à cause de la longueur de la corde. La voie est dans un gros dévers je suis donc plein gaz alors que je descends vers le sol. En bas ça discute toujours, les autres se préparent à y aller tandis que pour nous c’est fini on rentre. »
Tout va très vite
« Je suis en train de desserrer en regardant mon assureur quand tout à coup vision d’horreur. J’ai juste le temps de voir la corde lui filer entre les mains avant de me sentir happé par le vide.
Tout va très vite. Un premier gros choc puis roulé boulé dans les blocs qui se termine pas une glissade sur un névé. Je relève la tête, je suis conscient mais j’ai quand même du sang qui coule de ma tête et surtout, une douleur assez forte à la cheville. Le reset semble ok à part quelques contusions un peu partout.
J’ai vraiment eu beaucoup de chance, je suis tombé sur un talus et non une surface plane ce qui à un peu amorti le choc, juste avant d’être propulsé dans des blocs tête la première. Là encore, beaucoup de chance, ma tête n’a pas tapé trop fort.
Rapidement les autres arrivent un peu affolés, ils m’ont vu tomber puis disparaître tête la première dans le talus. Ma cheville se transforme instantanément en une grosse patate et je comprends vite que j’ai quelque chose. Impossible de rentrer à pied du coup déclenchement des secours puis évacuation vers l’hôpital de Briançon.
A première vue pas de grosse fracture mais impossible de faire un diagnostique précis tant que l’œdème ne dégonfle pas un peu. Une semaine, après le verdict tombe : double entorse de stade 3 avec un arrachement osseux sur la malléole interne … bref un été qui s’annonce moins excitant que prévu !! »
ET MAINTENANT ?
« A ce jour je finis ma rééducation et je commence à poser le pied et faire quelques pas (S+6 ) je devrais être en mesure de regrimper en moulinette et faire du vélo en août. Pour ce qui est de vraiment cramponner et aller en montagne ça devrait prendre plus de temps et probablement attendre ma deuxième session au cers début septembre.
Je viens d’être victime de l’accident le plus fréquent en falaise (cf assureur FFME) : corde trop courte pas de nœud en bout de corde. »
ON FAIT L’BILAN, CALMEMENT
« Au final je m’en tire bien mais c’est quand même rageant de se faire mal comme ça alors que ce genre d’accident ne devrait pas arriver. Mais ça m’est arrivé, et en discutant avec beaucoup de grimpeurs je me suis rendu compte que la plupart des gens qui passent beaucoup en falaise ont eu un jour ou l’autre un incident de la sorte. Moi-même j’ai une fois fait la même faute d’inattention heureusement pour moi (et pour lui) le grimpeur allait poser le pied au sol lorsque la corde est sortie de mon système d’assurage …
Même si c’est trop tard pour refaire le match il est important de malgré tout tirer un enseignement de ce genre de mésaventure. »
SOYONS PRUDENTS
Ces accidents ne sont pas une fatalité, et on peut faire baisser les stats. C’est pour cette raison que j’ai insisté sur certains détails dont vous allez comprendre l’importance et sur lesquels il faut être vigilants :
- Le speed : je ne trouvais pas de grimpeurs disponibles la veille au soir je suis donc parti un peu au dernier moment le matin sans avoir pris le temps de correctement faire mon sac.
- La fatigue : j’étais fatigué ce matin-là donc moins alerte j’aurais peut-être dû m’écouter et rester à la maison.
- Le double check : ça commence à rentrer dans les mœurs mais le double check doit être systématique et si le grimpeur doit contrôler son encordement, l’assureur doit lui vérifier son système d’assurage ainsi que sa corde. S’assurer qu’un nœud est toujours fait en bout de corde.
- La rigueur : qui ne s’est jamais retrouvé avec une corde trop courte en falaise ? Dorénavant si cela se reproduit je « bricolerai » plus !! Nous n’avons pas voulu gâcher une journée en falaise en rentrant changer de corde, au final c’est une saison qui passe à la trappe.
- La concentration : on a peut-être trop tendance à être distrait au pied des voies : discussions, téléphone, musique… Se forcer à rester dans sa bulle lorsque l’on assure est aussi important que lorsque l’on grimpe.