Retour sur l'aventure Makatea avec Nina Caprez et Solenne Piret
Interview de Solenne Piret et Nina Caprez
Vous êtes sans doute déjà nombreux à avoir regardé ce très beau film, Makatea, qui raconte comment une team de grimpeurs internationaux a participé à la naissance d’un spot de grimpe magique sur un atoll exceptionnel perdu dans la Polynésie française à des dizaines d’heures de navigation du premier aéroport international.
Chez Arkose ce film a fait autant briller les yeux de tous les grimpeurs qu’il a suscité de questions…. Ces questions nous les avons donc posées à deux protagonistes du film, toutes deux athlètes du programme Be The Hero d’Arkose : Nina Caprez et Solenne Piret.
Nous vous livrons leur éclairage intéressant sur ce film, brut de fonderie, pour vous permettre si ce n’est pas encore fait, de le regarder peut être avec un angle différent. Bonne lecture !
– Comment as tu été contactée pour participer à ce film ? Ca s’est réellement passé comme dans le film ?
Nina: Erwan Le Lann (skipper du voilier Maewan et aventurier, ex-organisateur des Petzl Roc trip. NDLR) m’avait contactée en décembre 2018 pour me parler de l’endroit et pour demander si je voulais être en charge de trouver des gens pour équiper des voies, pour les aspects sécurité et pour trouver des sponsors. Donc j’ai bossé 6 mois sur ce projet à ses cotés et je suis bien contente du résultat car on a été vraiment une belle équipe. Chacun avec ses capacités différentes mais humainement on a tous eu des valeurs en commun.Le financement du film est arrivé quasiment à la fin et était loin d’être notre priorité. D’abord il y avait la cause, “la mission”, puis ensuite cerise sur le gâteau, la com’ avec photos et film.
Solenne : Pour ma part c’est via mon copain, missionné pour faire les images là bas, que j’ai été contactée pour participer à cette expédition. Donc rien à voir avec le film en ce qui me concerne.
– Vous êtes vraiment venus pour ouvrir des voies ? Ou c’était un peu show off (genre vous en avez ouvert 4/5) ? Connaissais-tu déjà tous les athlètes qui ont participé ?
N : Tu rigoles ? Bien sur qu’on y est allé pour ouvrir des voies et non pour faire semblant. On avait 3 semaines pour ouvrir, un nombre de spits limité donc on les a répartis par ouvreur pour que ça soit équilibré. On a bien choisi les spots, on voulait créer des vrais secteurs et pas équiper une voie par ci et une par là. Le potentiel est sans fin, donc c’était difficile de choisir. (NDLR : lien pour télécharger le topo : Makatea_Escalade_GuideBook_2019-HighRes )On était 15 en tout. La plupart étaient sur place pendant un mois, certains ne pouvaient venir que 2 semaines. Pour moi c’était vraiment important d’ouvrir dans tous les niveaux, des voies de très grande qualité et durabilité. On a collé des relais en titane (ce qui est le mieux pour des voies au bord de l’eau), puis des spits Petzl HCR en 10mm pour les points.Je ne connaissais pas tous les athlètes, et c’était un grand plaisir de passer autant de temps avec certains que je n’ai jamais croisés. Notamment Marcos Costa qui a travaillé en Chine avec Erwan pour le Petzl Roc trip, puis Gérard Fianossai, notre cher responsable secouriste et Solenne non plus je ne la connaissais pas (à cette époque le programme BeTH by Arkose n’avait pas encore été lancé NDLR) !
Les autres je les connaissais bien, ou leur qualités de travail. A la fin du mois on a été une équipe tellement soudée ! A aucun moment il n’y a eu des tensions (sauf le soir quand Jérémy est arrivé pour nous annoncer qu’il n’était encore jamais monté sur une corde statique mais qu’il devait faire la couv’ pour Red Bull magasine..), on a tous bossé comme des fous, on s’est vraiment investis dans le projet, dans le village, dans l’école sans passer bien sur à coté de cette nature époustouflante.
S : Je suis venue pour apprendre à ouvrir des voies, je n’avais jamais fait ça auparavant. Je ne connaissais personne. Pour ma part je dois avouer qu’à ce moment là, j’ai vu cette expédition comme une opportunité purement personnelle (et donc assez égoïste au vue de l’impact écologique du déplacement, que je compense volontairement en soutenant des projets éco – mais ne souhaite pas communiquer publiquement dessus car consciente que c’est une action de « bonne conscience » et semblable à un « traitement post traumatique » plutôt qu’une action à la source du problème). C’était l’occasion de donner un coup de boost à ma carrière sportive et par conséquent de servir les objectifs de développement du paraclimbing que je m’étais fixés.
– Que penses-tu vraiment de cette idée de re-dynamiser le tissu économique d’une île volcanique perdue au beau milieu de la Polynésie grâce à l’escalade et la via ferrata ? Est ce crédible de penser que Makatea peut devenir le futur Krabit de la Polynésie ?
N : Le but n’a jamais jamais été de créer le futur Krabit de la Polynesie Francaise, loin de là !On s’est lancés dans le projet aussi car le club d’escalade sur l’île a demandé de l’aide à Erwan pour donner une autre lumière à cette ile abandonnée et ravagée par l’exploitation des mines de phosphate. Au début les gens du village ont été timides, puis au fur et à mesure ils se sont ouverts et on a vécu des choses et beaucoup discuté. Je me suis rendue compte à quel point toute cette période phosphate a laissé des cicatrices très profondes. Ils ont perdu leur identité et on avait quelques clefs pour leur apporter du renouveau, de la jeunesse, de la gaité pour pouvoir tourner la page et pour reprendre confiance en la valeur de leur île.
S : Aujourd’hui les habitants de l’île vivent de la vente de coco et de crabe, et les jeunes n’y ont aucun avenir. Je pense que l’escalade peut réellement venir compléter leurs activités déjà en place, et surtout leur donner un nouveau regard sur les ressources naturelles de leur île, étant aujourd’hui sur le point de redémarrer l’activité d’extraction de phosphate. Après on parle de 60 habitants, donc pas besoin de devenir le futur Krabit de la Polynésie (pour qu’ils puissent en vivre dignement NDLR).
– On parle dans le film d’éco-développement, qu’est ce qui fait dire ça ? Quels sont les moyens mis en place pour limiter la possible casse écologique ? Localement, mais aussi mondialement quand on sait qu’ un aller-retour à Makatea coûte 5,5teCO2, soit deux fois ce que l’ONU recommande de dépenser annuellement par être humain pour conserver une chance de maintenir la hausse des températures sous 2,5°C ?
N : Eco-développement dans le cas de Makatea était un mot clef. Certaines personnes (que j’ai contactées pour venir NDLR) qui voyagent déjà beaucoup dans leur vie m’ont clairement dit que c’était trop loin pour eux. D’autres n’ont jamais pris l’avion dans leur vie et ils ont été enchantés de participer. C’était la décision de chacun de venir ou pas.Après, je l’ai déjà expliqué, le but c’était d’utiliser cette énergie locale du club d’escalade (le président est le fils du maire) et d’aller monter un site durable avec notre aide. On voulait leur apprendre les bases importantes d’un développement d’un site d’escalade, les erreurs à éviter, puis à être autonomes bien sûr. Equiper des voies, les maintenir, monter les installations nécessaires pour pouvoir accueillir mais surtout être capable de limiter le nombre des grimpeurs par rapport aux ressources sur l’ile.Puis on a fait un programme de sensibilisation avec l’école pendant 3 semaines, on a planté des arbres fruitiers avec eux… La liste de notre impact sur leur eco-développement est plutôt longue.On voulait vraiment montrer aux gens qui habitent à Tahiti et aux alentours que Makatea avait quelque chose de différent à offrir qu’une île de plus achetée par les blancs où tu trouves que des méga buildings et hôtels 5 étoiles au bord de l’eau. Makatea est unique dans son genre, cet atoll surélevé, la qualité de la roche extra-ordinaire… Quand on est grimpeur, c’est une évidence que c’est un paradis. Pour les non grimpeurs, il fallait expliquer un peu plus.En tout cas, à notre départ après un mois sur place et cet évènement, les locaux avaient le coeur rempli de bonheur, d’espoir et de joie de vivre.
S : On parle ici d’éco-développement en regard de l’exploitation de phosphate, que la moitié des habitants de l’île (soit 30 personnes) considéraient alors comme l’unique moyen de booster leur développement. Je n’ai pas de chiffres exacts mais l’exploitation du phosphate est une catastrophe écologique (l’extraction en elle-même mais aussi car c’est transformé en engrais NDLR).Pour l’instant, ce sont des personnes habitant à Tahiti même, en Nouvelle-Calénonie et des Américains qui sont venus suite à notre passage, donc moins loin que la métropole. Et je pense qu’il en restera ainsi, en tous cas je l’espère !
– Du coup ma question d’après c’est : est-ce bien raisonnable de faire des films comme celui-ci, qui non seulement promeut la grimpe à l’autre bout du monde mais en plus donne l’impression qu’on va faire une bonne action en allant y grimper ?
N : Oui je pense que c’est tout à fait raisonnable. Maintenant on sait que Makatea existe et ce qu’il y a à faire là bas. Ensuite, c’est la responsabilité de chacun de prendre la décision s’il veut s’y rendre. C’est sûr que personne n’y va comme à Kalymnos pour consommer. C’est la mission pour s’y rendre : 25h d’avion pour aller à Tahiti. Ensuite il faut 27 h en voilier, ou sinon il faut attendre le gros bateau qui passe une fois par mois pour amener de la nourriture et du gaz sur les iles. Il n’y a pas d’aéroport et que 5 ancres à 500m de l’ile, puis faut un tout petit bateau pour pouvoir arriver sur l’ile. Perso j’ai préféré rire des réactions des gens quand la question d’aller à Tahiti s’est posée. Le nombre de fois où je suis partie aux US, au Canada, en Chine et personne ne m’a pointée du doigt. La Polynésie est tellement vague et loin dans les têtes des gens, qu’ils ont tendance à pointer du doigt. Puis pour des gens habitant aux US c’est moins long d’aller à Tahiti que d’aller en Europe.Je pense qu’il était important de monter ce projet là-bas car c’était un endroit où il y avait un besoin. Les îles, comme notamment l’Ile de Pâques ont tellement subi et il ne fallait surtout pas reproduire le même schéma sur Makatea.
S : Aujourd’hui c’est sûr que faire ce genre de film n’est pas très raisonnable sans une vraie réflexion de communication en amont.
– A ton avis quel est l’intérêt des marques à financer des films de ce type ? Quelle image veulent elles faire passer via ce mode de communication ?
N : L’intérêt c’est de montrer un peu le travail qu’il peut y avoir derrière une voie d’escalade sur un site magique. Montrer que l’aventure existe encore, montrer cette belle nature puis faire rêver les petits parisiens dans la grisaille
S : Je pense que ce film s’inscrit dans une volonté des marque de vendre du rêve, un « lifestyle », une team cool qui part à l’autre bout du monde exercer le métier de grimpeur pro, à l’instar des Petzl Rock Trip il y a 10 ans.Si ce mode de communication paraît aujourd’hui un peu décalé au vu des questions environnementales fortes, certaines marques n’ont pas encore pris le tournant et je pense en ont besoin afin de conserver une image moderne qui met en avant leurs athlètes dans un milieu extraordinaire. Après toutes les marques n’ont pas forcément envie de communiquer sur leurs convictions écologiques, soit parce qu’elles n’en ont pas, soit parce qu’elles craignent le « green washing » ?..
Et pour en savoir encore plus sur les coulisses de cette aventure, n’hésitez pas à lire le récit de Nina sur son blog, juste ICI